Textes

Isabelle Henrion / 2022

Puisant parmi les savoir-faire et les outils qu’elle rencontre, Claire Gonçalves propose des dispositifs à la fois pédagogiques et sensibles dans lesquels ses sujets d’étude se déploient et se présentent sous différentes facettes.

Curieuse, Claire Gonçalves observe, dissèque, démantèle. De ces déconstructions peuvent ensuite surgir de nouveaux assemblages, jamais identiques à leurs modèles, ni forcément améliorés, assumant au contraire la fragilité et les traces sensibles du fait main. En détournant non seulement les objets mais également les gestes du travail et les codes du marketing, l’artiste propose finalement ni plus ni moins que de se réapproprier les moyens de production.

Durant sa résidence en Islande, Claire Gonçalves espère pouvoir enrichir son vocabulaire formel et plastique au contact de nouveaux savoir-faire artisanaux et proposer de nouveaux modes d’emploi du monde pour bricoleur·ses en devenir.

Marina Guyot / 2021

Si Lors d’un voyage en Bolivie, une amie utilisait souvent un mot que j’ai fini par noter pour le retenir : capacitarse (hay que caparcitarse mas). Ce mot qui résiste un peu à une traduction simple en français, pourrait donner : se doter de nouvelles connaissances, capacités, se former, apprendre. Il me semble que cette expression pourrait être la devise de Claire Gonçalves qui cherche toujours à apprendre de nouvelles techniques dans des domaines aussi différents que le bricolage, l’artisanat (céramique, couture, vannerie), ou encore les nouvelles technologies de production (fablab), techniques qu’elle nous transmet à son tour par le biais de son travail artistique situé entre l’installation sculpturale, le design et la peinture.

Si vous ne le faites pas, ses pièces n’en resteront pas moins des espaces picturaux à arpenter, construits et agencés à chaque fois sur mesure. Pièce en kit à assembler soi-même, tuto déployé dans une suite de peintures, espaces praticables, munie d’une gamme de matériaux restreinte : tasseaux, medium, cire, céramique, pigments et plâtre, elle déploie ses displays aux formes épurées et aux couleurs claire.

Dans l’espace de Off the rail qui se laisse voir au public uniquement depuis la rue (vitrine) elle peint en trompe-l’oeil le même display qu’elle aurait pu fabriquer si l’espace était praticable : un établi avec tout le matériel nécessaire à la fabrication de papier mâché. Papier mâché dont elle recouvre le sol du lieu d’exposition liant ainsi l’espace tout entier en une peinture en trois dimensions.

Son dernier projet, Demi – teinte, espace DIY (2021) reprend pour objet la fabrication de craies qu’elle avait déjà présenté l’année précédente à home.alonE sous forme de peintures en rebus (Des craies, 2020). En effet partant de ce premier travail, elle redéploie ici les différentes étapes nécessaires à la fabrication d’une craie dans un espace, comme son nom l’indique, do it yourself. Dans cet atelier de fabrication, le visiteur pourra ainsi suivre les 15 étapes peintes sur carreaux de plâtre, et utiliser chaque outil moulé ou sculpté sur mesure par l’artiste jusqu’à l’obtention de son bâtonnet coloré.

Dans ses collaborations avec Samuel Braikeh, l’artiste conçoit également des machines interactives et loufoques, pour sculpter les carottes par exemple. Ou encore La raie de la fortune (2019), installation reprenant les codes des machines à dire l’avenir de fêtes foraines ou des films d’épouvante pour adolescents mais dans une version plus maritime. Ici un·e pêcheur·se vous propose de faire tourner ses prises du jour pour connaître votre avenir. Par le biais d’une interface numérique programmée par les deux artistes, l’activation d’un de ces poissons vous permettra d’obtenir un ticket dont le message, entre sentence et poésie cocasse ne pourra qu’influer sur le cours de votre journée.

«Raja Mix vous dit : vous voulez que quelqu’un vous fasse des tartines? En conclusion, on est allés sur la Lune, mais on ne connaît pas le fond des océans.»

Marie Cantos / Déplier n’est pas jouer / 2014

Ce qui frappe, c’est la distance signifiante qui sépare la géométrie de ses compositions spatiales du pittoresque de ses petits sujets faits-main. On observe ses modules – dépliés sous la forme de vastes installations ou repliés sous la forme de sculptures – avec suspicion et amusement. Que sont donc ces étranges « Genter Raum » distribuant aux murs les éléments d’une grammaire picturale en même temps que des miniatures kitsch et autres raquettes de ping-pong carrées (pour mieux se ranger, mon enfant) ? Il y a du « Proun », de l’ex-voto, de l’artefact traditionnel, des souvenirs comme chez Mamie ; il y a des espaces en kit, une esthétique quasi suédoise, un fonctionnalisme d’apparence sage, bois clair et bleu ciel, celui des écoles et des gymnases. Le ping-pong, d’ailleurs, revenons-y : l’artiste en orchestre de savantes parties, entre l’ennui et le faire.

Car Claire Gonçalves accumule des objets qu’elle chine aux puces ou qu’elle réalise elle-même : tout un bestiaire en bois, en cire, en bronze, échappé des bibelots sur les commodes et des tableaux de chasse accrochés au-dessus, mais aussi des outils (des tampons à encrer, par exemple) et des surfaces de projection (du plateau de jeu réel ou imaginaire aux carreaux de faïence qu’elle a émaillés d’un vert d’eau subtil). Ses séjours à l’étranger ne peuvent que s’accompagner de l’acquisition de techniques particulières – un savoir-faire souvent à l’origine des pièces. Ses tableautins et figurines s’intègrent et se confrontent dans des dispositifs évolutifs qui tiennent autant du display muséographique que de la structure-témoin.Le visiteur croit reconnaître des formes familières mais se heurte dans le même temps à leur mutisme : aucune indication, encore moins de règle(s) du jeu. Les espaces modulaires de Claire Gonçalves pourraient s’apparenter à un établi, une cuisine intégrée, une salle de jeu, un mobile-home, un atelier d’artisan.

Le visiteur ne sait pas toujours s’il peut activer ces œuvres à la dimension pourtant in progress, voire participative. Idéalement, l’artiste souhaiterait pouvoir assurer des « permanences » dans ses expositions afin de faire évoluer ses installations au fur et à mesure ; les « rangements » qu’elle a imaginés construisent une alternative sous forme d’attente. En prenant acte de cette difficulté, elle interroge les conditions de monstration des œuvres, s’amuse à changer des règles qui ne sont pas livrées.

Des règles qui sous-tendent néanmoins les différentes mises en place. Dépliés, les modules sont entièrement « rejoués », éclatés dans les lieux qui les accueillent, selon des configurations et des agencements à chaque fois différents. Un cadre, une couleur au mur, une estrade, un revêtement en carrelage, etc. délimitent les espaces composés et ceux, en marge, où sont disposés d’autres constituants potentiels de l’œuvre. Ils (ne) s’y glisseront peut-être (pas) en cours d’exposition. Repliés, comme Rangement 1 et Rangement 2 qui sont présentés dans l’exposition Première 2014, les modules de Claire Gonçalves apparaissent paradoxalement très ouverts : une pensée ordonnée qui ne demande qu’à se déployer.